Hélène Mathon, auteure et metteure en scène est intervenue dans le cadre des Premières Rencontres du Forum des Agricultures, graines d’avenir. Elle nous parle de son travail d’écriture sur sa pièce Cent Ans dans les champs ! (Une petite histoire de l’agriculture de 1945 à 2045) et de sa relation entre art, agriculture et monde rural.
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Intervention d’Hélène Mathon le 7 septembre 2013 à la Ferme de Vauluceau dans le cadre des Premières Rencontres du Forum des Agricultures
Pourquoi avoir choisi le sujet de l’agriculture dans votre travail d’artiste ?
Mes grands-parents étaient agriculteurs dans le Gers et depuis 2001*, je travaille sur le sujet agricole. Mon travail s’attache à « donner à entendre des choses peu audibles », il me semble que l’histoire est toujours racontée par d’autres que ceux qui la vivent ou par ceux qui parlent le plus fort. Pour écrire la pièce, nous avons interviewé des agriculteurs du Nord, en coproduction avec le Centre dramatique national de Béthune. Avant la première représentation, j’appréhendais un peu la confrontation. Les acteurs de la pièce n’avaient jamais rencontré les agriculteurs avant cette première et même si, pour nous, c’est un travail habituel, il reste singulier dans son rapport direct avec la réalité. A l’issue de la représentation, il y a eu beaucoup d’émotions car les agricultrices et agriculteurs étaient fiers de voir leur histoire au travers d’un média qu’ils méconnaissent : le théâtre contemporain. Ils pensaient que leurs histoires ne valaient pas la peine d’être racontées. Pourtant c’est l’essence de notre métier : représenter la vie des autres.
Comment a réagi le public après avoir vu « Cent ans dans les champs ! » ?
Les retours du public ont été très bons. Les gens ont une connaissance diverse du sujet mais on peut dire que tout le monde à un rapport à l’alimentation et à l’agriculture. Même si nous vivons de plus en plus en ville, ce rapport est encore vivant. Mais si-parmi la génération des quadragénaires- 4/5 étaient susceptibles d’aller en vacances à la ferme chez les grands-parents, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Beaucoup de fermes ont disparu, les vacances sont consacrées au loisir et plus du tout au contact avec les animaux, avec la terre. De ce fait, de plus en plus de gens trouvent ce travail « exotique ». Il faut ré-expliquer le rôle de l’agriculteur et de l’agriculture.
Vous abordez la question de la déstructuration de notre alimentation de manière assez violente dans la pièce…
Quand je regarde ce que nous avons aujourd’hui dans notre assiette, je réalise à quel point nous sommes allés loin. Il est urgent de faire changer les choses. Comment peut-on faire pour concerner les gens ? Dans la pièce, quatre visions sont restituées, quatre possibilités de penser notre rapport à l’agriculture. Mais je n’ai pas souhaité faire ressortir un type d’agriculture plus qu’un autre. Je propose quatre scénarios et chaque spectateur, en fonction de son vécu, entre en empathie avec l’une ou l’autre. Je cherche à restituer la perception de la réalité plutôt que de fournir une vision manichéenne des agricultures.
Le passage sur la vidéo représentant un agriculteur philosophant sur le mot « paysan » est surprenant et singulier…
L’agriculture manque aujourd’hui de vocabulaire, de mots. L’agriculteur a souvent une parole toute faite, qui préexiste à la rencontre. C’est parfois un discours très politique, comme la version officielle en quelque sorte. Dans l’écriture de la pièce, je me suis intéressée à la parole singulière que porte l’individu en son nom propre. D’une certaine façon, on a désappris à penser aux agriculteurs. A mon sens, il n’existe plus d’endroit de réflexion où ils peuvent s’exercer à penser par eux-mêmes, ils se trouvent dans une solitude et un désarroi profond. Ils vivent une situation très compliquée économiquement et socialement.
Comment envisagez-vous l’agriculture dans le futur ?
Cette question de l’agriculture en 2050 est une question très complexe qui renvoie à une décision collective parce qu’on ne pourra pas faire les choses à moitié. Les agriculteurs que j’ai rencontrés m’ont beaucoup parlé de chiffres, de papiers. Ce qui m’intéresse, c’est le rapport de l’homme à la terre et peu m’en ont parlé car ils n’ont plus le temps. C’est vertigineux. Mais il est essentiel et fondamental de répondre à cette question primordiale : que voulons-nous faire de notre terre ? .
Quelle est la place de la culture dans le monde rural ?
Au niveau des structures culturelles en milieu rural, c’est la déshérence totale et il n’y a pas vraiment de volonté politique pour que cela change. Le monde rural n’a droit aujourd’hui qu’à une culture au rabais et cela vient de la pensée centraliste du politique. J’ai aujourd’hui beaucoup de demandes de groupement d’agriculteurs pour jouer la pièce mais les salles de spectacle sont la plupart du temps inadaptées. Si les agriculteurs ne peuvent plus penser par eux-mêmes c’est aussi parce que les lieux de culture peinent à exister là où ils sont, dans les zones rurales. Il est urgent de repenser la place de la culture dans le monde rural, parce qu’il est urgent de redonner à l’art son utilité sociale.
Propos recueillis par Julien Couaillier en mars 2013
* 2001. « Les restent ?», d’après le journal de Josiane Duprat., gouvernante dans un domaine agricole du Gers.
2010. « Les Coteaux du Gers », documentaire sur la question du travail auprès des retraités agricoles et « Odette », au théâtre de la Digue à Toulouse.